Par Michel M. Albert
L’improvisateur est un détective. Au lieu d’élucider un crime, il suit les indices pour créer le portrait complet d’une histoire, mais le travail reste le même. C’est en assumant le rôle de détective que l’on se tient loin du statisme et de la confusion, et que notre impro peut évoluer organiquement, sans forcer de caucus ou perdre le fil.
Les indices, ce sont toutes les suggestions faites publiquement pendant l’impro. Cela part de la lecture du thème (car le thème fait partie du casse-tête), puis passe à travers tout ce que les joueurs disent ou font. Chaque morceau est important et doit être utile. La question que le détective doit répondre est : « Quelle est cette histoire dont je fais partie? »

Donc le travail continue de l’improvisateur c’est de se demander comment chaque détail qui se retrouve dans l’impro fait partie d’un portrait complet (qui ne sera complètement révélé qu’à la fin). Et sa prochaine réplique/action doit viser la solution du mystère. Si un détail qui ne supporte pas la même conclusion s’ajoute, on repose la question, on arrive à une nouvelle solution, on enchaîne avec une réplique/action qui supporte celle-ci.
Deux effets bénéfiques de cette approche :
1. On abandonne ni oublie jamais rien. Parce qu’on cherche à faire du sens de chaque détail, on l’a en tête. Plus tard dans l’impro, plutôt que d’inventer quelque chose de nouveau, on peut ramener un détail qu’on semblait avoir oublié. Ça l’explique. Le public qui se demandait ce qui était arrivé à ce détail fait « Ahhhhhhhhhh » et aime ça.
2. On ne force jamais l’impro dans un moule qui ne lui va pas. En mixte surtout, on peut avoir tendance à retourner à son caucus quand on pense manquer de jus. Mais le caucus n’est qu’un remue-méninges d’idées, PAS le plan de l’impro. Il est toujours mieux de s’appuyer sur ce qui se passe dans l’impro en cours et éviter de pousser une histoire (celle du caucus) qui n’est plus celle que l’on raconte. Le détective suit les indices vers une solution, il ne décide pas qui a commis le crime à l’avance.

Un bon détective fait tout ce travail presque inconsciemment, mais des questions conscientes restent dans sa tête. Il ne demande pas « qu’est-ce que je fais maintenant? », mais plutôt « qu’est-ce que l’histoire me demande de faire maintenant? ». Ceci implique les questions additionnelles suivantes :
« Quelle sorte d’histoire est-ce? Un portrait? Un récit? Un exercice de style? Une comédie? Une tragédie? De l’action? De la conversation? »
« Qu’est-ce qui serait une réaction logique, surprenante, ou dramatique à tout ce qui vient d’être établi? »
Et toujours : « Comment tout ceci fait-il du sens malgré les différentes idées qui ont été amenées à date? »
Deux joueurs entrent en mixte, ils ne font pas la même action. Un se lave les mains et joue un médecin, l’autre cogne des clous et se veut charpentier. Il ne faut pas maintenant que le médecin abandonne son action parce que « ah, ça marche pus ». Il doit INTÉGRER son idée avec celle de l’autre. Il doit demander « comment ces deux personnes peuvent-elles coexister dans une même histoire? Et quelle est cette histoire? » S’il décide, par exemple, que sa salle d’opération est en construction, ça vient de créer un moment loufoque, une idée d’impro qu’aucun des deux caucus n’a imaginée. Voilà la vraie impro, et s’en est une originale en plus.

Mais disons que le charpentier ne comprend pas très bien et part aussitôt qu’un joueur de son équipe rentre faire un patient ou un infirmier, et ça devient une impro plus ordinaire de traitement de malade. Sauf que notre détective n’a rien oublié! Il ne laisse rien disparaître complètement! Quand il manquera de points de suture, il ira chercher le sac de clous abandonnés pour fermer le thorax de son patient! Le reste de l’impro, il traite son patient comme une maison!
En d’autres mots, toute impro, même si l’idée de base est géniale, peut être déroutée, par une erreur ou une nouvelle idée, mais elle doit quand même, dans l’analyse finale, raconter une histoire qui se tient, qui est dramatiquement/comiquement cohérente, qui ne saute pas du coq à l’âne pour la seule raison qu’on a manqué d’idées et qu’on a changé subitement de chemin.
Jouer au détective axe notre processus de création sur les détails, et c’est dans les détails que l’impro prend forme.
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