Le personnel et le public

Par Michel M. Albert

En impro, il est important de se donner complètement, de se rendre vulnérable devant le public, d’oser être soi-même, car c’est là qu’un joueur (ou même officiel) trouve sa particularité. En l’absence de personnages et histoires de longue vie, le public s’investit plutôt dans l’improvisateur. Voilà pourquoi on les encourage à trouver leur propre identité, à ne pas émuler leurs mentors ou idoles, etc.

Mais il y a une ligne très fine entre la vulnérabilité que l’ont doit démontrer en performance, et le genre de mise à nu qui créerait un malaise. On doit être soi-même, certes, mais on ne doit pas oublier que l’on est aussi en train de donner un spectacle, pas en train de participer à une thérapie de groupe, ou strictement entre amis.

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Donnons un exemple utile :

Deux joueurs vont nous faire une improvisation comparée qui se veut très personnelle. D’un côté, le joueur utilise le décès d’une personne chère dans sa vie pour informer une improvisation à propos d’un personnage qui a aussi perdu un être cher, mettant en scène des détails tiré de la réalité pour mieux représenter les sentiments en jeu. De l’autre, le joueur s’adresse au public et lui raconte la vraie histoire du décès d’un ami ou parent, en ne laissant planer aucun doute qu’il s’agit de quelque chose qui leur ait arrivé, sans changer les noms, etc.

Qui a fait la meilleure impro? Toutes autres choses étant égales, je dirais que l’effort d’improvisation n’est ressenti que dans la première. Le joueur a utilisé son expérience pour créer une fiction remplie de vérité. Il improvise autour d’un thème. Dans la seconde version, bien que la biographie pourrait être un mode acceptable de récit dans certaines circonstances, il n’y a pas un tel acte de création. Ça sort tout seul parce que c’est une histoire qu’on a déjà racontée, si seulement à soi-même. Et bien que l’impro pourrait être inférieure à la première en style, cohérence, difficulté et performance, le public sentira qu’il n’a pas le choix que de voter pour la deuxième, par pitié pour l’improvisateur qui, par la fin de l’impro, pleure probablement. Touchant? Peut-être. Mais il ne faut pas se leurrer. L’effet est surtout le malaise.

On se sent mal pour la personne qui fait l’impro. On se sent mal par rapport à notre vote. On se sent mal par rapport aux punitions. On se sent mal d’avoir été voyeur dans la vie d’une personne qu’on ne connaît pas vraiment. On venait voir un match d’impro pour se divertir et on s’est retrouvé dans une session trop publique chez le psychologue.

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Et le malaise du « trop vrai » est présent dans bien plus d’exemples moins dramatiques. L’arbitre qui amène un conflit personnel avec un joueur dans une explication de punition. Le maître de cérémonie qui révèle une gossip sur des joueurs ou officiels au micro. La classique impro (ou discours de remerciement) de « c’est la dernière fois que je joue dans cette ligue ». Tout ça peut créer un malaise parce que ça brise l’illusion du personnage d’improvisateur.

C’est un malaise né d’égoïsme, surtout. On pense que notre peine mérite d’être exposée au public. Que notre inside va faire rire les gens comme elle nous fait rire. Que l’on peut défier le système de nous dire que notre impro n’était pas bonne quand on s’est ouvert le cœur comme ça. Qui osera donner une punition? Qui osera voter contre moi? Qui osera ne pas me donner l’étoile? Pas pour dire que c’est à chaque fois aussi calculé, mais même lancé de façon innocente, il y a un égoïsme là. On le fait pour soi, pour passer par-dessus quelque chose, pour se venger, etc., mais on ne le fait pas pour le spectacle.

Alors retournons au premier joueur de l’exemple (appelons-le Ricky) et pourquoi il est resté du bon côté de la ligne. Il a compris que les spectateurs sont venus voir JOUEUR DES BLEUS #4, pas Ricky. Ils ne connaissent pas Ricky, et ne se sentiraient pas à l’aise de savoir quelque chose de trop personnel à propos de Ricky. Bleu4 utilise tout de même la culture et expérience personnelle de Ricky pour construire des impros, parce que Bleu4 est une facette de Ricky, et ainsi ils apprennent à connaître le personnage de Bleu4, peuvent le différencier de Bleu1, Bleu2, etc. et l’apprécier à sa juste valeur. Ils apprennent, avec le temps, que Bleu4 a peur des rimées, et sont impressionnés quand il en réussi une. Ils apprécient sa rivalité/complicité avec Rouge6. Ils sont intrigués par son intérêt dans le cinéma allemand et sa capacité de bien rendre des émotions. Bleu4 est le personnage public de Ricky, se qu’il a choisi de montrer, ce qui fait du sens à un public dans une situation de match/ligue. Il utilise son bagage personnel, mais il le TRANSFORME en impro.

Règle générale : Même si quelqu’un ne connaît pas les improvisateurs sur scène, il se fait donner un spectacle en tout temps. Il n’est pas subitement confronté à un malaise tel que décrit ci-haut, et n’a pas besoin de connaître les joueurs personnellement pour comprendre l’humour. Elle est là, la ligne. On doit toujours jouer comme si le public ne nous connaît pas, parce qu’il y aura toujours des membres du public pour qui c’est le cas. Sinon, allons jouer entre amis dans nos salons.

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