Par Michel M. Albert
Si vous m’avez vu jouer, vous savez peut-être que j’aime briser le quatrième mur dans des improvisations. Un adresse au public, un élément participatif, un clin d’œil à l’insu de l’arbitre pour mettre les spectateurs dans le coup… Mais pour que ça marche, ça, il faut tout de même qu’il y AIE un quatrième mur.
Pour les nouveaux initiés, le 4e mur est le mur qui sépare la scène du public. C’est un mur qui se veut transparent pour les spectateurs, mais solide pour les comédiens/joueurs. Ce mur a tout de même deux propriétés spéciales : D’abord les personnages ont tendance à ne jamais se mettre de dos à ce mur, comme si leur subconscient savait que quelqu’un les voyait par la fenêtre, et enfin, ce mur peut être brisé, car il n’a pas de substance.
On est rattrapé? Ok, allons de l’avant.
Briser le 4e mur crée un effet, certes, mais pour créer le choc voulu, on doit, pour le reste du match, maintenir l’illusion qu’il y a effectivement un mur là.
Un match où un ou plusieurs joueurs sont en aparté tout le match non seulement va à l’encontre du spectacle de variété qu’est l’impro-match, mais court-circuite l’impact de la technique. Il faut se rappeler que briser le 4e mur casse l’illusion du réel qui est déjà difficile à maintenir dans des sketchs qui se font sans accessoires, costumes ou décors. Si le public devient conscient de son existence parce qu’un personnage l’est, il doit conclure que l’histoire racontée n’est pas vraie. On risque de diminuer l’investissement du public. C’est l’équivalent, plus subtile mais maintenu, du « couper! On reprend! », détesté du public. Pourquoi on nous montre une impro pour ensuite dire de ne pas y croire?

Si c’est pour créer un style, une forme de narration, un coup de théâtre, soit. Mais maintenu pour une majorité du match, cela perd sa puissance. C’est plate et répétitif et donne un même style à toutes les impros. Briser le 4e mur devrait être une surprise, une petite traite, pas une constance. Et c’est pire quand un seul joueur le fait, refusant de regarder (et possiblement d’écouter) les joueurs autour de lui, se concentrant sur sa relation avec le public. Des personnages vivent vraiment le moment, et là il y a un joueur en train de regarder au-delà du 4e mur, s’adressant au vide, ruinant ce que les autres joueurs essaient d’accomplir – entre autres, un semblant de vraisemblance et de vérité.
Mais j’irai plus loin. Il y a quelque chose de bruyant et de chaotique quand on brise le 4e mur ENTRE les impros. Le mur est plus flexible dans ces moments, bien sûr. L’arbitre s’adresse au public, et le capitaine à la session de question peut certainement les inclure. Mais autre que ça, il faut choisir ses moments. Des bancs de joueurs qui sont toujours en train de crier des choses, soit à l’arbitre, soit au public, est un élément dérangeant et difficile à suivre. L’arbitre qui tombe dans le panneau et jase avec les entraîneurs et joueurs en dehors des moments spécifiés perd du temps et encourage encore plus de tels bris. Il y a une raison que l’impro-match est ponctué de sifflets et de musique. Ce sont des indications aux spectateurs de faire attention, d’écouter, ou bien une permission de jaser entre eux. Aussitôt qu’on interrompt se rythme pour lancer notre petite joke, pour attirer l’attention en dehors des gonds d’une impro, on crée une confusion. La moitié du public ne savait pas de faire attention et ne comprend pas trop ce qui se passe. Bientôt, on frôle le free-for-all, l’arbitre perd contrôle du match, et on n’entend que du bruit, on ne voit que des folies, il n’y a plus de différence entre les moments auxquels il faut faire attention, et ceux à travers lesquels on peut parler ou regarder notre téléphone.
Un moment dans un tournoi/une saison où quelque chose comme ça arrive, c’est mémorable. Quand ça arrive constamment, ce n’est que du bruit.

Le 4e mur est là pour une raison. Il indique qu’on regarde un SPECTACLE. Pour le public, il est une vitrine à travers laquelle il est voyeur. Aussitôt qu’on le démolit et qu’il RESTE démoli, on égalise la dynamique entre joueurs et spectateurs au détriment du spectacle. Le public se donne le droit de jaser ou de crier des choses vers la scène. On ne croit plus dans les scènes montées. On a le sentiment d’être dans le salon des joueurs pendant un party où quelqu’un joue de la guitare, mais la moitié du monde n’est pas là pour écouter un show. Ça rend la chose non-officielle, garochée.
Brisez le 4e mur à des moments bien choisis. Le public devrai ressentir un thrill quand tout à coup un joueur leur adresse la parole, ou les regarde dans les yeux. Jusque là, gardez contact avec les joueurs qui sont avec vous dans l’arène. Laissez le public croire les situations que vous improvisez. Et enfin, avec la bonne idée, au meilleur moment, bam, faites un trou dans le mur, mais un trou TEMPORAIRE!
Vous voulez écrire un article? Communiquez avec nous à improvisationnb@gmail!