Par Michel M. Albert

Si vous avez fait votre job comme il faut en bâtissant votre ligue, ça ne devrait pas arriver, mais en tournoi, on a tous déjà vécu la situation – faire face à une équipe qui n’est pas de son propre calibre, soit absurdement trop forte ou tristement trop faible.

Je veux surtout parler de cette dernière situation où, par exemple, le joueur adverse est un débutant, alors que l’on est soi-même un vétéran. Du début, il semble ne pas y avoir de défi, le public, tout comme les joueurs, sait d’avance qui remportera le point. On sera témoin d’un massacre, et personne ne veut vraiment voir ça dans un spectacle.

Mais que peut-on faire d’autre? Ralentir et inviter le statisme en donnant le guidon à ce nouveau joueur? Faire exprès pour ne pas faire tous les punchs qui nous passent par la tête? Ne pas donner notre 100%?

Non. Plutôt, il faut voir le défi différemment. Il ne s’agit pas de gagner le point (qui est déjà gagné), mais plutôt d’aider l’autre joueur à gagner le point.

(PARENTHÈSE POUR LES COMPÉTITIFS : Normalement, je dirais que tout ce qui importe, c’est le spectacle et pas les points, mais nous avons déterminé que nous sommes probablement en situation de tournoi, donc on cherche tout de même à avancer dans le classement, se rendre au prochain palier, jouer plus de matchs, etc. Mais nous avons aussi établi qu’une équipe a le dessus sur l’autre de façon substantielle. Donc même si vous réussissez à faire l’autre joueur gagner le point, ça ne devrait pas changer le résultat du match – et même en essayant, le public aura quand même tendance à vous donner le point, donc ON NE S’INQUIÈTE PAS.)

La technique est simple mais en même temps difficile, et je crois que c’est ici qu’un bon joueur peut se démarquer davantage. Vu que le débutant a probablement de la difficulté à contribuer à l’improvisation, chacune de ses contributions doit être importante, et c’est votre rôle, en tant que vétéran, d’assurer l’importance de cette contribution. Vous devez rester à l’écoute du joueur adverse en tout temps, et prendre chaque réplique, chaque geste, comme une proposition qui décide tout ou change tout dans l’impro. Quand la personne dit quelque chose, vous sautez dessus immédiatement, vous vous dites « bonne idée » et vous, qui avez l’expérience de construire, bâtissez à partir de la brique qu’on vient de vous donner. Vos propres idées sont au service de celles du débutant, pas de votre caucus. Vous ne prenez jamais un personnage qui domine l’autre. Quand vous allez où vous le voulez, vous l’amenez avec vous (parce que de toute façon, c’était sa suggestion qui vous faisait vouloir y aller).

Vous aurez réussi si le joueur en question a l’impression d’avoir aidé à bâtir l’improvisation, que ce sont ses idées qui ont fait une différence. Il est entièrement possible que vous avez fait la majorité du travail, que le public ait trouvé que vous étiez « le meilleur », mais aussi que, ahh, ce joueur débutant, il n’est pas si mal non plus, il a fait une improvisation mémorable, après tout. Ainsi on bâtit la confiance des jeunes joueurs, on les rend meilleur, on équilibre, petit à petit, le calibre entre les équipes. C’est plaisant quand des jeunes équipes qui se sont fait battre à plat de couture viennent vous voir après un match pour vous dire que c’était leur meilleur. C’est moins intéressant de voir un blanchissage sans merci (c’est un jeu de mot, ça).

La technique s’applique au jeu de ligue aussi, car il y aura toujours des joueurs plus jeunes et des joueurs plus vieux. Et c’est encore plus important de tendre la main et de faire briller tout le monde, parce qu’en ligue, la compétition est très peu importante, et cette recrue sera peut-être un jour dans votre équipe.

Et puis, en bout de ligne, si le déséquilibre du calibre rend l’improvisation « déjà gagnée », qu’est-ce qu’on gagne de plus à bloquer le débutant, à le noyer et l’étouffer, à manger tout le temps glace? Rien. On a même tout à perdre, surtout le respect et l’amour du public qui n’aime pas un bully.

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