Adapter le travail d’acteur pour un joueur d’impro

Par Donald Audet

Lorsque l’artiste monte sur les planches, iel prête son corps à un personnage qui l’habite complètement. Iel le connaît tellement, que celui-ci parle avec sa voix, bouge avec son corps, aime avec son cœur. Cette symbiose est le fruit d’un travail acharné, d’une analyse en profondeur.

Lorsque le metteur en scène dirige un acteur, iel le guide dans son analyse, lui propose des pistes d’interprétation. Iel prête son intelligence, sa vision au personnage, iel lui créé un environnement, un milieu de vie.

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Lorsqu’un auteur créé un personnage, iel s’offre un véhicule pour son message. Iel insuffle une raison d’être, une motivation au dit personnage. Iel prépare le terrain à la création.

Au théâtre, lorsque on présente un spectacle, on y a longtemps réfléchi. Toute une équipe y a travaillé. Le spectacle offert au spectateur a été travaillé, répété, retravaillé et réinterprété.

En impro, lorsqu’un joueur entre dans l’arène, iel prend le rôle d’acteur, d’auteur et de metteur en scène. En 30 secondes, iel doit créer un personnage qui évoluera dans un milieu qu’iel aura créé en collaboration avec d’autres, en réponse à une situation proposée par quelqu’un d’autre. Pour arriver à le faire, l’improvisateur doit s’armer d’outils. 

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Dans la Formation de l’Acteur*, Constantin Stanislavski propose que le comédien doive motiver toutes les actions de son personnage. Au théâtre, l’interprète a le temps d’analyser et de trouver les motivations nécessaires à l’incarnation d’un personnage, et créer un profil émotif pour celui-ci. Mais la création en direct exigée en improvisation ne permet pas cette analyse. Ainsi plusieurs joueurs créeront des personnages au préalable, comme le font certains humoristes. Ces dits personnages évolueront ensuite dans différents univers et se développeront tout au long de la carrière d’un comédien. Lorsqu’on évolue devant un public régulier, très vite l’usage excessif de ce type de personnage donne une illusion de cliché et de répétition.

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Dans la commedia dell’arte, l’utilisation d’archétypes permettait aux comédiens de présenter des situations grotesques basées sur un canevas de base. Pour chaque personnage-archétypes, on prédéfinissait la motivation, la posture, la gestuelle. Les relations entre différents archétypes crée la situation. Chaque membre d’une troupe travaille un seul personnage qu’iel incarnera dans toute les représentations publiques. Les personnages ainsi créés sont superficiels et caricaturaux. Toutefois, leurs descendants peuvent être très utiles en impro : La belle-mère insatiable peut très bien servir de base à une antagoniste d’un certain âge; le prince charmant peux devenir la solution aux malheurs du protagoniste…

Lorsqu’un improvisateur se sert d’un archétype, il doit se l’approprier, le faire sien. L’archétype sera toujours superficiel et doit vivre en relation avec d’autres : Le doué, le résilient et le rebelle deviennent des protagonistes très intéressants lorsque confrontés au prof borné, rétrograde et injuste; l’ange et le diable peuvent illustrer le dilemme et déchirement d’un héros indécis… On peut aussi créer des archétypes en imitant des personnes qu’on a observées. Comme les personnages sont caricaturaux et les émotions superficielles, l’usage d’archétypes ne fonctionne pas dans tous les styles d’impro. Leur utilisation abusive qui frôle parfois le cliché laissera au public un sentiment artificiel auquel il n’arrive pas à s’attacher, ou à s’identifier.

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Au Actors Studio**, Lee Strasberg enseignait aux aspirants acteurs de puiser dans leur histoire personnelle, la source de l’émotion. Suite à l’analyse d’un texte, iel établira la trame émotive du personnage, explorera ses expériences personnelles, pour déterminer comment provoquer et nuancer telles émotions. L’analyse de texte étant impossible en impro, il devient impossible de définir une trame narrative. On travaillera plutôt comment provoquer et nuancer l’émotion. Si je suis réellement attiré, mon corps communiquera de façon crédible l’attraction de mon personnage. Si je suis vraiment déçu, le public comprendra que le personnage n’est pas sincère lorsqu’iel se dit reconnaissant d’un cadeau… Par des exercices en pratique, le joueur doit explorer son psyché pour déterminer ce qui ,chez lui, enclenchera quelle émotion, et comment en contrôler l’intensité. Plus l’improvisateur est en contrôle de différentes sensations, plus iel arrivera à communiquer une charge émotive crédible à ses personnages. Il faut par contre toujours conserver un équilibre entre le rythme et la vérité émotive d’une scène. 

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L’improvisation est un art scénique instantané. La maîtrise de différents outils de composition de personnages permet au joueur de créer sans travail d’analyse spécifique préalable. L’improvisateur qui est en contrôle de ses émotions, qui a plusieurs personnages incarnés à sa disposition, qui comprend comment le faire réagir dans une situation donnée, a bien plus d’option lorsqu’iel se présente dans une improvisation, et son jeu sera davantage varié. Bien que la plupart des improvisations mettent en scène des personnages, leur création n’est qu’une partie du travail de l’improvisateur. Ainsi donc la maîtrise d’outils de création de personnage permet aux joueurs de mettre leur énergie sur d’autres aspects du jeu.

* La formation de l’acteur, Constantin STANISLAVSKI, petite bibliothèque Payot, 1936
** Le Travail à l’Actors Studio, Lee STRASBERG, Gallimard, 1986

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