Parler, c’est se désavantager

Par Michel M. Albert

Hein?! Ben non, voyons. Tout le monde qui a déjà joué une sans sons ou sans paroles sait bien que l’usage de la parole est un immense atout pour clarifier ce que l’ont fait, pour ajouter une richesse dans les détails, et puis il y a plein d’humour qu’on peut faire avec des jeux de mots, des voix, des livraisons…

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Oui, c’est certain, mais peut-être que les joueurs plus physiques seraient d’une opinion différente. Il y a de ces joueurs qui cherchent leurs mots, surtout quand la situation demande des niveaux de langue plus raffinés, de la rime, et ainsi de suite. Mais ce n’est pas vraiment de ça que je veux parler.

Je visionnais récemment quelques films de Buster Keaton faits après l’avènement du son au cinéma. Keaton est, avec Charlie Chaplin et Harold Lloyd, membre (et certain dirons roi) de la trinité de maîtres de la comédie silencieuse. Alors que Chaplin ait continué à faire des films muets pour longtemps après qu’il fut possible d’enregistrer du son, de peur que son style ne fonctionnerait pas avec du bla bla, Keaton, lui, a osé se saucer l’orteil.

Buster Keaton having car problems  - Imgur

Des films tels que Speak Easily et The Passionate Plumber donnent à Keaton de l’humour verbo-moteur en plus de son jeu physique habituel, on pourrait dire aux dépends du jeu physique (ni l’un ni l’autre de ces films n’offrent le délice chaotique et athlétique de ses grandes comédies muettes), mais il y a aussi quelque chose d’étrange qui se passe avec son personnage de scène.

Ce n’est pas que Keaton est incapable de livre de l’humour verbal. Bien au contraire, il est très versatile. Plutôt, je perçois la différence entre le personnage muet, et le même personnage avec droit de parole, et c’est la sympathie. Quand un personnage n’est qu’expressions et postures, le public projette ce qui manque, en fait une figure souvent sympathique. L’absence de paroles rend le personnage plus naïf et innocent, en quelques sortes. Il ne peut pas dire quelque chose de réellement offensant. Pré-verbal, il a quelque chose d’un enfant. Espiègle peut-être, mais il n’est jamais consciemment méchant. Le personnage du mendiant de Chaplin et Mr Bean sont deux autres exemples de ce « héro muet » sympathique.

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Quand ce héro a droit de parole, ah, là on a le droit de le juger sur ce qu’il dit. J’ai ressenti, en regardant cette vedette de l’écran silencieux parler pour la première fois, que j’avais le choix d’aimer son personnage ou de le mépriser. Même quand il jouait l’innocent, il parlait, donc avait moins de cette innocence de l’enfant, et plus de cette innocence comme on l’utilise dans notre parler canayen, dans le sens de « colon ». Non mais, t’es un adulte là, arrête d’être stupide!

Et j’ai compris qu’en impro, il y a un phénomène semblable. Combien de nos joueurs physiques (et ici on peut parler autant des mimes que de ceux qui s’appuient sur les expressions drôles) semblent immédiatement sympathiques, alors que nos verbo-moteurs, qui ont peut-être plus de finesse, construisent plus, etc. le sont moins, voire sont antipathiques au public. Plus d’une rivalité est née de ce paradoxe, mais il est possible grâce à cette interaction avec le public. L’innocence joue pour beaucoup et elle est minimaliste. La parole est un ajout important, mais dérobe le personnage d’une certaine ambiguïté. On gagne, mais on perd, dans le jeu de la sympathie. Et le sympathique a l’avantage dans le jet des votes.

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