Par Michel M. Albert

La concentration est un outil sous-estimé de l’improvisateur. Elle conduit à la réduction de la nervosité, mais aussi à une absorption et livraison des idées plus efficaces. Quand on se concentre, on écoute mieux. En particulier, on se dote d’une meilleur écoute ACTIVE, c’est-à-dire l’écoute qui amène à la création, et non seulement l’absorption.

On vit dans un monde où la concentration est de plus en plus difficile dans la vie de tous les jours. On est bombardé d’images et de bruits (si bien qu’on a peur du silence), on a les yeux sur plusieurs écrans à la fois, on s’y perd tellement on reçoit d’information, pas toute valide… Et on amène ces mauvaises habitudes avec nous dans l’arène. La concentration, comme tout autre outil, est quelque chose qui se pratique. Si on manque de concentration dans la vie, on sera plus facilement distrait sur scène aussi. Le public, l’éclairage, les punitions qui revolent, le bruit sur un banc, et puis nos propres insécurités aussi, et les pensées pas rapport qui nous passent par la tête… Tout ça empêche le joueur d’impro d’écouter et de créer.

Il est donc important de travailler la concentration à l’extérieur de l’arène, et pour ce faire, voici des exercices pertinents, surtout en ce qui est de développer l’écoute active. Le but est le même quoi que soit l’exercice, c’est-à-dire de se concentrer sur la signification des choses et comment donc elles peuvent être utilisées dans une improvisation. En comprenant ce que quelque chose veut dire, et à quoi elle sert, on fait des liens avec leur place dans une histoire, et quand on voit/entend ensuite quelque chose dans une improvisation, on a développé le réflexe de faire des liens utiles dans la création de la prochaine étape. Écouter, c’est surtout savoir quoi faire avec ce qu’on a entendu.

On pourrait catégoriser beaucoup de jeux de concentration sous la bannière de l’observation. Par exemple, voyez comment quelqu’un est habillé (dans la nature ou sur Internet). Imaginez maintenant que vous devez mettre ces vêtements dans une valise. Hmm, pourquoi avez-vous paquetés ces habits-là? Où allez-vous et pourquoi? Qu’est-ce qui vous manque pour compléter votre voyage? Dans cet exemple, on a capté une image, identifié les détails, mais plus que ça, on a déterminé leur histoire, leur utilité, leur potentiel. Avec pratique, un rapide regard vous donnera plein de détails utiles sur la personne, et donc, dans une improvisation, il vous sera plus facile de créer des détails, oui, mais surtout de partir d’un détail établi et d’amener l’improvisation à la prochaine étape.

D’autres exemples de jeux qu’on peut jouer seul : 

Ouvrez un tiroir de bric-à-brac, ou regarder autour de vous dans la pièce où vous êtes. Combien d’objets pouvez-vous amenez dans une histoire qui fait du sens?

Regardez une photo et racontez l’histoire de cette photo, avec le plus de détails possibles, en vous posant toujours la question « Qu’est-ce que ce détail veut dire, dans le monde créé? ».

Écoutez des sons ou une musique et essayez de répéter avec vos bruits de bouche. Pensez aux sons que vous générez même quand ils ne sont pas exacts. Ça sonne comme quoi? Et comme quoi d’autre? Imaginez la scène que vous créez en faisant ce son ou musique sur scène.

Regardez une vidéo où quelqu’un parle à la caméra. Placez des pauses où bon vous semble et répondez-lui. À travers l’exercice, imaginez qui VOUS êtes dans l’histoire pour qu’on vous parle ainsi.

Fermez vos yeux et touchez un objet. Identifiez sa forme, texture, etc. Ou alors faites le avec une odeur. Ou avec un aliment, identifiez la saveur. Quels souvenirs cela provoque-t-il? Quel autre objet, quel lieu, quelle émotion ou sensation? Développer ses sens prend de la concentration, car il s’agit de se concentrer sur une chose à la fois, et d’ignorer le bruit (sonore, visuel, etc.) qui nous entoure. Dans une improvisation, par la suite, cette pomme imaginaire que l’on introduit aura plus facilement une forme, un goût, une odeur, des détails qui ajoutent une richesse à notre performance et peut mener à une histoire quand la simple prémisse du caucus s’évapore.

En groupe (en personne ou en ligne), on peut passer à la prochaine étape qui est de se défier avec du bruit. Lire une page d’un livre à voix haute pendant que tout le monde parle un par-dessus l’autre. Chacun siffler une différente chanson sans perdre la mélodie. Raconter une histoire en subissant de constantes interruptions de « journalistes » qui ont des questions, veulent des détails (souvent pas rapport), ou critiquent l’histoire avant de l’avoir toute entendue; répondre calmement sans perdre le fil de l’histoire.

Le joueur qui pratique la concentration évite l’état de panique qu’on peut parfois sentir. Il est plus calme et moins distrait, et donc plus à l’écoute. Quand quelque chose est établi dans une improvisation, il la capte tout de suite, la retient, et plus que ça, il voit comment l’utiliser pour faire avancer l’histoire, pour y ajouter une atmosphère, ou pour enrichir les personnages. Le joueur bien pratiqué voit tout ça s’étaler devant lui et n’est jamais à court d’idées. Les exercices plus avancés, pour leur part, servent à aider le joueur à mieux trier les idées en simulant le genre de confusion créé dans l’arène pas les joueurs moins concentrés. Il s’agit de pouvoir garder cette concentration et écoute active/créative même quand tout le monde parle en même temps, ou quand un joueur entre au mauvais moment et met l’histoire en péril, etc. Le joueur concentré peut à la fois ignorer le bruit (ne pas le laisser le déranger) et le percevoir comme élément qu’il peut utiliser pour informer ce qui se passera ensuite.

Vivant à l’époque de la sur-information, on devrait parler de la concentration davantage. C’est un art qui risque de se perdre, et avec lui la clarté et la créativité de bien des impros.

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