L’art de monter une équipe

Par Justin Guitard

Bâtir une équipe est un art. Si certains entraîneurs n’ont pas la chance d’avoir un réel choix dans la formation de leurs équipes (alors que certaines écoles peinent à avoir le nombre nécessaire de joueurs dans le comité, par exemple), je m’estime chanceux d’avoir, bon an, mal an, la « chance » d’effectuer une sélection parmi un bon nombre de joueurs. Chaque saison, depuis une dizaine d’années, l’improvisation a gagné chez nous en popularité, si bien que les années où il y a moins d’une quarantaine de jeunes inscrits au camp d’entraînement sont peu fréquentes. Le record d’inscription au camp d’entraînement étant de 82 personnes (ironiquement, c’est l’année où l’équipe a terminé la saison au plus bas rang de son histoire au provincial – sous ma tutelle, du moins – soit au 5e rang).

Cette popularité s’expliquait au départ par le fait que ce sport / cette activité culturelle est valorisé à notre école, que les élèves qui y prenaient part étaient vus positivement par leurs pairs. Aussi, depuis quelques années, le fait qu’il y ait des équipes dans les écoles primaires (en raison des Jeux de l’Acadie), fait en sorte qu’au moins une dizaine de jeunes par année arrivent au secondaire ayant joué une, deux, voire trois saisons d’improvisation. Ajoutez à ces 10 élèves ceux de l’année précédente, et ce, pendant quatre ans, et vous avez, de facto, un bassin de 40 joueurs qui arrive au quatre ans. 

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Malheureusement, je ne peux qu’en garder qu’un maximum de 12 (8 qui joueront dans un tournoi donné). Ainsi, beaucoup de déception, alors que des dizaines de jeunes, certains étant des joueurs d’expérience de plusieurs saisons, doivent dire adieu à leur rêve, alors que dans d’autres équipes, ils auraient été parmi les premiers sélectionnés. 

Avoir du choix, c’est une réalité qui est, certes, agréable, mais qui cause un grand problème : qui choisir? Et pourquoi? En misant sur quels critères? Parce que souvent, a talent égal, à compétence égale, il faut trancher. Expliquez à un jeune qu’il sera dans l’équipe, alors que l’autre n’en fera pas partie. 

Bref, l’article d’aujourd’hui ne porte pas sur « j’ai beaucoup de joueurs qui viennent au camp d’entraînement et na-na-na », mais bien « sur quels critères est-ce que je me base quand j’ai des choix à faire ». 

Je vais l’avouer, j’ai souvent coupé des joueurs plus talentueux que d’autres, et ce, pour plusieurs raisons. Je vais aussi le dire : à 95% du temps, je sens dans la première minute où je croise le joueur si je vais le prendre ou non. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais je le ressens, tout simplement. Je peux voir quelqu’un de loin et sans même que cette personne ait dit un mot, je sais si elle va être une bonne joueuse d’improvisation ou non. Donc, mon premier critère de sélection est de m’écouter. Je sais que c’est un horrible critère, complètement subjectif, mais c’est un sport basé sur l’intuition et comme entraîneur, je dois écouter ce que je ressens. 

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Ensuite, le critère principal, c’est le cœur. Est-ce que le joueur aime l’impro? Est-ce qu’il est prêt à travailler? Est-ce un joueur d’équipe? Est-ce que l’équipe va devenir pour lui une famille? Est-ce qu’il sera prêt à faire des sacrifices? Est-ce qu’il sera un leader positif? Est-ce c’est une bonne personne? Si la réponse à toutes ces questions est OUI, eh bien, il y a de bonnes chances que le joueur fasse partie de mes choix. 

Il y a aussi le critère du potentiel. Est-ce que je peux amener le joueur plus loin? Lui enseigner autre chose? Faire de lui un meilleur joueur d’improvisation? Jusqu’à quel point peut-il s’améliorer? Un joueur qui est fort en 9e année, mais qui semble être au bout de son potentiel, vaut peut-être moins l’investissement qu’un joueur plus faible, mais qui a une courbe d’amélioration potentiellement beaucoup plus grande (je pourrais écrire un autre article expliquant comment déceler le potentiel d’amélioration – si la demande est présente chers lecteurs…).

Dans les critères « improvisation », je dirais que ceux que je regarde le plus lors du camp d’entraînement, c’est l’écoute et l’efficacité. Pas que je ne crois pas dans les autres critères, mais je considère que c’est la base. Le joueur peut-il jouer en mixte avec un autre joueur? Sait-il quand entrer dans l’improvisation? Quand en sortir? A-t-il été capable de faire un punch sur quelque chose que l’autre joueur avait dit une minute ou plus plus tôt? Est-il capable de mener une histoire à terme en mettant de côté tout ce qui est superflu? Encore là, si c’est OUI, c’est un pas dans la bonne direction pour le joueur. 

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Aussi, je dois prendre en considération le concept d’équipe. Est-ce que la personne va bien s’insérer au reste du groupe? Est-ce qu’il a des intérêts communs ou complémentaires aux autres? Est-ce que c’est une personne en qui on peut avoir confiance? Est-ce que c’est quelqu’un qui va amener les autres à s’élever? La réponse doit être OUI. Le meilleur joueur du monde ne se retrouvera jamais sur mon banc si le reste de l’équipe ne peut pas le sentir.

On doit aussi prendre en compte les besoins de l’équipe. Je n’ai pas besoin de 8 joueurs identiques. Ai-je des joueurs physiques? Verbo-moteurs? Forts en personnages? Cultivés? Habiles en catégorie? Bons à faire des 3e personnages? J’ai souvent dû couper d’excellents joueurs simplement parce que j’avais déjà à peu près le même joueur dans ma formation. C’est souvent une question de timing. Je perds mon joueur qui est fort en construction? Eh bien, ça va m’en prendre un au camp d’entraînement la saison suivante, même s’il y a 100 puncheurs qui sont meilleurs… j’ai besoin du constructeur!

En écrivant ses lignes, je réalise que ça demeure tout de même un exercice assez complexe. Il arrive qu’on se trompe, même avec une douzaine d’années d’expérience et de nombreuses réussites. Mais on doit, comme sélectionneur, comme entraîneur, se faire confiance. On ne peut pas revenir en arrière et on ne saura jamais comment aurait été telle ou telle équipe avec tel ou tel joueur en plus ou en moins. On ne peut pas réécrire l’histoire. Certes, on peut réparer certaines erreurs en ne reprenant pas un joueur l’année suivante, ou en en prenant un qu’on n’aurait peut-être pas dû ignorer la saison précédente. Mais reste qu’au bout du compte, les choix demeurent un peu subjectifs et un autre entraîneur aurait pu finir avec une sélection complètement différente, à l’aide d’autres (ou même des mêmes) critères, à partir du même groupe de joueurs. 

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C’est facile à prouver. Si je demande à n’importe qui de se sélectionner une formation de six joueurs d’improvisation, parmi un groupe donné (Votre équipe top-6 du secondaire, universitaire, d’anciens, de joueurs du NB, de joueurs du Canada, etc.), on aurait probablement tous des équipes différentes. On va prendre des joueurs avec qui ont s’entend bien, qui nous ressemblent, qu’on apprécie comme personne, qui ont un style de jeu qui nous plaît, qui représentent, selon nous, ce qu’est de la bonne improvisation. C’est un art subjectif. Les discussions et les choix des entraîneurs seront donc pour toujours source de débat! Pas pour rien qu’on parle des mêmes histoires d’impro depuis des années.

Maintenant, en septembre, reste à voir comment on pourra faire un camp d’entraînement avec des joueurs à 2 mètres de distance. C’est un défi qui pourrait changer la composition des équipes, les joueurs verbo-moteurs se verront probablement avantagés face aux joueurs plus physiques. Bonne chance à tous les entraîneurs.

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