Par Michel M. Albert
Rendue disponible dernièrement sur Netflix, une série de trois spectacles improvisés sous la bannière Middleditch & Schwartz en vaut bien la peine pour les publics d’improvisation et les improvisateurs eux-mêmes. Il s’agit d’improvisation long form, ce que nous appelons communément de l’impro-théâtre, où pour l’heure donnée, les comédiens Thomas Middleditch et Ben Schwartz s’adonnent à une seule longue impro qui, ils l’espèrent, se tient.

Il adonne que l’improvisation long format est une de mes passions, et c’est un aspect que je développe chez moi et les autres depuis mes années dans la défunte Ligue d’Improvisation Acadienne (LIA), puis avec plus d’ambition, avec la troupe Les Impromptus. Donc je pense que je peux dire que j’en sais quelque chose. Il est particulièrement intéressant de regarder les spectacles à travers la lentille de l’improvisation telle qu’on la connaît ici. On peut définitivement voir une différence entre les cultures d’improvisation acadienne (pour ne pas dire canadienne) et américaine.
Le show, tels qu’ils le présentent, est basé sur une courte conversation qu’ils ont avec un ou des membres du public. En impro, on a toujours besoin d’une interaction avec le public, que ce soit des choix, suggestions, ou un contrôle sur l’issue d’un match, pour que le public puisse mieux sentir que ce n’est pas pratiqué, qu’il voit quelque chose d’inédit, hors du contrôle des participants. La question pour chaque spectacle est la même : Nos gais lurons demandent si quelqu’un est présentement stressé ou excité pour un événement dans leur vie. Trois réponses bien différentes mènent à des pièces improvisées très différentes. Les joueurs demandent plein de détails, mais ne les reproduisent pas. Plutôt, ils s’en inspirent, et beaucoup de l’humour vient de reconnaître ce détail-ci ou celui-là, dans le remix de la pièce.

J’aime l’astuce. Un des problèmes auquel on fait souvent face quand on demande une suggestion d’un membre du public, c’est qu’ils essaient d’être drôles et donnent quelque chose d’injouable. Pensons à tous ces thèmes achetés lors d’improvisathons, par exemple. Des insides plates, des mauvais jeux de mots, et puis quoi après, les joueurs doivent faire quelque chose qui fait du bon sens avec ça? Maintenant, disons que l’impro est 50 minutes ou plus. Il faut partir d’une bonne base, et vu que la réalité est souvent plus étrange et drôle que la fiction, les détails auxquels on peut accrocher dans une courte conversation avec des vrais gens s’avèrent plus intéressants et utiles que des suggestions lancées au hasard.
Ensuite, les comédiens se lancent sur une scène vide, hormis une couple de chaises. Là où ils m’épatent, c’est qu’ils jouent tous les personnages, et que ces personnages sont fluides entre eux. En d’autres mots, Middleditch joue un personnage, et plus tard, il se peut que Schwartz joue ce même personnage parce que Middleditch est occupé à jouer quelqu’un d’autre. Ils ont une très belle chimie, une bonne écoute, mais aussi la capacité de se troller et de s’envoyer des défis chiants comme on le verrait dans une mixte chez nous, quand les joueurs sont de haut calibre et se connaissent bien. Donc bien qu’ils doivent créer en tandem, on sent une compétition qui se manifeste en taquinage, et le public aime bien ça.
Si on ne voit pas ça souvent (ou jamais) ici, cette fluidité de personnages, c’est que, non comme l’impro américaine, 99% de nos joueurs sont issus de l’impro-match où la cohérence est davantage importante. Le joueur néo-brunswickois typique vise une intégrité dans son personnage pour éviter le décrochage, mais aussi parce qu’il ne veut pas causer une rudesse en « volant » le personnage de l’autre. Oui, ça se ferait en comparée, mais les réflexes ne sont pas là.

À l’envers de la médaille, ce manque d’intégrité est partout dans la performance de Middleditch et Schwartz. Ils décrochent, ils cabotinent, ils sentent le besoin de réexpliquer l’histoire quand l’un d’entre eux se perd (et je comprend, ils sont deux à incarner une douzaine de personnages, on peut s’y perdre). Et c’est drôle. C’est même pissant par bouts. Mais dans notre impro locale, la présence d’un arbitre assujettie le spectacle à des règles qui forcent davantage une unité de personnage, de lieu, et d’histoire. Elle est là la plus grande différence culturelle.
Bien franchement, ça marche dans leur contexte. La seule manie de joueur que je leur reproche, c’est une obsession avec les noms de personnages. Peut-être que c’est nécessaire pour se démêler dans un format où on doit jouer tout le monde, mais si seulement ils étaient plus adeptes à s’en souvenir! Middleditch en particulier oublie les noms trop facilement, tout en étant celui qui insiste que chaque personnage soit nommé, ce qui mène dans chacun des trois spectacles à une scène plutôt longue où on rit du fait qu’on a oublié les noms. C’est drôle, mais ça ralentie l’histoire. À mon avis, il est mieux de différencier un personnage par sa voix, son attitude et son rôle que par son nom, et ces spectacles me donnent pas mal raison.

Bien que Middleditch ne donne pas sa place – il est hilarant – Schwartz est le joueur auquel je me rattache le plus. C’est lui qui construit, qui explique les erreurs, qui trouve moyen de faire du sens des absurdités qui surviennent toujours dans une longue improvisation, qui ramène l’histoire sur le droit chemin, et qui semble peut-être aussi en charge du rythme. Il y a sans doute une horloge hors-scène quelque part, mais je trouve quand même impressionnant que chaque spectacle a pratiquement la même durée (sans coupures, du moins, que je puisse voir) et a un début, un milieu et une fin potables, voire même satisfaisantes.
Je vous invite à voir ces trois spectacles, tout en soulignant ma préférence pour le premier (celui du mariage), surtout si vous êtes à jeun d’impro depuis trop longtemps. Vous rirez un bon coup, et peut-être serez vous même inspirés quand vous aurez la chance de retourner sur les planches.
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