Par Michel M. Albert
Mercredi dernier se déroulait la première de trois pièces de théâtre improvisées organisées par Impro NB, mettant en vedette des comédiens professionnels – Annik Landry, Bass Levesque, Bianca Richard et Ludger Beaulieu – dans un contexte de théâtre professionnel (dans ce cas, le Théâtre L’Escaouette). « Cœurs – Une pièce romantique improvisée en deux temps » a fini par offrir, en un premier temps, un portrait de l’amour naïf adolescent, et dans un autre, la déception amère d’un amour perdu et maintenant compliqué. On aurait pu appeler ça une tragédie sur la perte d’une certaine innocence. Le public a rit – et laissez-moi vous dire que c’est très étrange d’avoir une réaction du public après un an de silence – certains ont même pleurniché; quelqu’un a laissé allé un halètement audible à un twist particulièrement cruel… On ne peut qu’être satisfait.



Le meilleur compliment reste celui d’un technicien qui est venu demander si les comédiens travaillaient à partir d’une première ébauche. Eh bien, non, figurez-vous que quand on dit que c’est improvisé, c’est sérieux! Qu’est-ce que les comédiens savaient? Le titre et sous-titre. Ils ont vu le décor minimaliste un peu plus d’une heure avant le spectacle, entre autres le bloc sinistre au milieu de l’avant-scène qui devait représenter le mur qui allait séparer les amants – il aurait pu être métaphorique mais s’est avéré très physique – l’inspiration duquel venait de sources (aussi indiquées au comédiens au préalable), soit l’histoire médiévale d’Héloïse et Abélard, et celle de Pyramus et Thisbe parodiée dans Un songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Ces inspirations se sont glissées dans la pièce – l’héroïne s’appelait en effet Héloïse (« Quelle coïncidence! ») et notre héro, Ulrich, nous lisait des bribes du soit-disant Songe.
Ils ont aussi pu prendre conscience des cases colorées qui allaient séparer les personnages principaux des « chœurs » (on voit bien le jeu de mot) où deux comédiens allaient jouer une combinaison de personnages de soutien, de monologues intérieurs, et de narrateurs. Ils savaient qu’ils auraient chacun leur tour pris dans les cases blanches, quelques 35 minutes sans pouvoir en sortir (dans chacun des deux « temps »); nous avons développé une esquisse de comment faire la transition une heure avant le spectacle. Et ils savaient qu’ils allaient se faire attribuer des accessoires, mais ne les ont vus qu’à leur entrée en scène en début de spectacle. Le public allait décider qui jouait chaque personnage à l’état « jeune » et à l’état « plus vieux », et quel accessoire allait à qui. Et c’est tout. Dans l’heure passée dans les loges avant le spectacle, on a parlé de tout sauf du show.
Le public a déterminé que Bianca et Bass allaient être nos amants à l’état jeune et donc commencer la pièce, et ce sont leurs choix qui allaient un peu déterminer la trajectoire de cette histoire. Deux jeunes de 15 ans, séparés par un mur de béton, mais plus que ça, par des parents intransigeants, l’un une ancre qui aura gardé sa fille à son service à travers une longue maladie (faites attention quand vos sortez une cigarette au premier acte), l’autre une mère-poule (Annik dans ce rôle de soutien a apporté tout un côté comique et une grosse partie des rires) qui surprotège son fils à l’extrême. Deux adolescents solitaires qui connectent à travers un mur, sans jamais se voir, et qui tombent éperdument dans les pommes l’un pour l’autre. D’avance, la mise en scène jouait sur la distanciation physique (un must dans la présentation de spectacles dans l’ère COVID), mais on pourrait aussi y voir une relation par Internet, ou dans un sens plus universel, le malaise de la vulnérabilité adolescente.
Tout ça, ce n’était pas très loin de l’improvisation que tout le monde connaît. Deux personnages se rencontrent et dévoilent peu à peu assez d’information pour donner un contexte l’un à l’autre et au public. Il y a toujours ce « mur » entre improvisateurs. Pendant ce temps, même si on aurait pu les laisser aller plus longtemps que les 35 minutes allouées, les « joueurs sur le banc » sont en train d’essayer de trouver la fin. Il y a toujours aussi cette « force » du destin qui travaille contre les personnages.
Le pivot! Les chœurs, en harmonie, « Le temps passe et les amants sont toujours séparés, et le temps passe, et le temps passe… » Les « jeunes » changent de place avec leurs homologues « plus vieux », joués par Annik et Ludger. Le public, par leurs choix d’accessoires, ont fait de cet amour un échange d’identité. Héloïse-jeune a une fleur, mais Ulrich vieux a une plante qui se veut la même, sans la fleur – une image de défloraison, de la perte de quelque chose tout en retenant son essence. Bien que Ulrich-jeune ait eu un livre de citations (qui sont venues alimenter le texte improvisé), il avait aussi la fièvre des étoiles, et donc quand Héloïse-vieille joue avec un télescope, c’est que cette fièvre lui a été communiquée. De par l’époque à travers laquelle on vit, la pièce devient sans l’être, à propos de distanciation et de communication, mais aussi de contagion.
Le retour d’Ulrich à sa vieille maison après le décès de sa mère rappelle sa connexion à Héloïse qui, elle, n’a pas bougé, mais contraste! On s’imagine – peut-être parce que l’on veut se l’imaginer – qu’Ulrich n’a jamais oublié son premier amour, mais sa vie l’a porté ailleurs. Il est marié (choquant) et attend un enfant. Héloïse se fait des histoires comme quoi elle a fait quelque chose de sa vie, mais avoue plus tard qu’en fait, elle a passé les derniers 15 ans à attendre qu’il revienne. Elle, un point fixe (aussi à l’image de la mise en scène). Et visiblement, Ulrich s’en veut et se sent pris dans une autre sorte de prison, derrière un différent mur. Peut-être aussi que la sur-protection de sa mère est devenue une armure impénétrable avec le temps. Il semble fermé plutôt qu’enfermé.

Encore une fois, on cherche une fin que les chœurs peuvent initier (car encore une fois, on aurait pu laisser ça encore plus longtemps) et on tombe sur « Et les amants sont toujours séparés. Mais s’aiment. Mais S’AIMENT. » Les comédiens se placent dans les cases colorées pour mettre cette phrase en action, mais n’osent pas interrompre. Héloïse-jeune avoue enfin qu’elle aime Ulrich encore et toujours, et Ulrich, lui, ne répond pas. Ne peut pas répondre? N’ose pas répondre? C’est ambigu. Et donc lorsque les chœurs répètent et répètent et répètent « Mais s’aime » avec de subtiles variations, bien au-delà de ce qui avait été scripté quelques minutes auparavant, on se demande si on essaie de se convaincre que c’est le cas. Les optimistes et les pessimistes auront compris le moment différemment, probablement, mais bel effet que d’avoir, en réalité, les versions jeunes des personnages en train de se regarder yeux dans les yeux en répétant ce mantra.
Moments impromptus
Étant une liste de belles coïncidences ou de coups de théâtre qui surviennent invariablement quand on compose de façon instantanée.
-Vu des airs, le plan de salle, avec ses lignes rouges pour les aires de jeu et ses lignes noires pour les voies de déplacement, pouvait, on m’a dit, ressembler à un cœur, avec ses cavités et ses valves.
-Bass a fait bonne utilisation du livre de citations, censé n’être qu’un artefact pour inspirer Ulrich-jeune, en faisant ressortir des mots d’amour pertinents à la situation. Comme chœur, Bass revient à la charge avec le livre pour rappeler à Ulrich-vieux qu’il aimait Héloïse, mais butte sur le mot metamorphosized – moment cocasse qui évoque, d’après la réaction d’Héloïse, qu’on n’a peut-être pas vu toutes les conversations qu’ils auraient pu avoir, et que le souvenir de lui qui a de la difficulté avec son anglais est le sien.
-Un autre moment cocasse qui joue sur la mémoire est celui où Héloïse-vieille ne se souvient pas du nom de son chat d’enfance, à quel moment, d’un pas décidé, Bianca se rend en case colorée pour le lui souffler.
-À l’attribution des accessoires, Annik a reproché à l’accessoiriste le fait que le « télescope » était un kaléidoscope au lieu de l’article véritable. À la fin de la pièce, bien qu’elle se soit présentée comme prof d’astronomie, elle doit avouer plus tard que ce n’est pas vrai. Elle est faussaire comme son accessoire.

-Dans la deuxième partie de la pièce, les deux maisons ont été interverties (droite/gauche). Que dire de cet effet miroir accidentel? Héloïse-vieille passe en fait du côté libre (où le personnage peut sortir et voir le monde) au côté prisonnier où on ne peut pas. Ulrich est de l’autre, maintenant capable de se déplacer d’une façon qui n’était pas permise pendant sa jeunesse. Ceci fonctionne en tandem avec l’inversion des accessoires.
-Et surtout, les silences. Si ce groupe de comédiens a une force collective, c’est son jeu naturel. Jeu qui implique des silences d’un beau naturel. Et on en a eu – des drôles, des tristes, des inconfortables, des confortables aussi. Vraiment de toutes sortes.
Somme toute, une histoire relativement simple, mais remplie d’émotion véritable et donc plus texturée qu’elle ne puisse le paraître. Le public semble avoir bien apprécié. Maintenant si vous m’excuserez, on doit commencer à se préparer pour « Cages », présenté le 1er avril prochain à la Salle Empress du Théâtre Capitol!
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