Par Michel M. Albert
Jeudi dernier se déroulait la dernière de trois pièces de théâtre improvisées organisées par Impro NB, mettant en vedette des comédiens professionnels – Annik Landry, Bass Levesque, Bianca Richard et Ludger Beaulieu – dans un contexte de théâtre professionnel (dans ce cas, retour au Théâtre L’Escaouette). « Corridors – Quatre destins complètement improvisés » présentait quatre espaces étroits mais profonds, chacun assujetti à un genre différent, tel que déterminé par le public. La difficulté pour les comédiens allait donc être de bien représenter le genre associé à leur corridor, mais alors que le public allait tout changer à la mi de la pièce, d’aussi réussir à pivoter d’un genre à l’autre pour le deuxième acte!
Ça se dessine assez rapidement en première partie, les corridors représentent des espaces de bureaux – des couloirs, des cubicules. Bass (Stéphane) essaie de s’enrichir rapidement et cherche des investissements. Mais nous savons qu’il est dans le corridor de la Tragédie, donc ça ne peut pas bien finir. Ludger (Jean-Charles), dans le corridor du Mélodrame, est une cible facile pour l’arnaque vu qu’il est prédisposé à des hauts hallucinants et à des inévitables bas. Annik (Marcelle), prises dans le corridor Absurde, travaille avec Stéphane mais est prisonnière du deuxième étage, un couloir sans fin où elle est attaquée de tout bord tout côté. Elle s’avérera aussi l’épouse enceinte de J-Charles, compliquant les choses. Bianca (Marie-Pierre), s’en tenant surtout à la couleur cette fois, est la nouvelle employée qui paranoïe dans le corridor du Suspense.
Une des choses que l’on remarque au premier acte, c’est que la mise en scène a un impact sur le comédien autant que sur les attentes du public. Il semble inévitable que les deux corridors au centre de la scène (Bass et Ludger) formeraient la base de l’histoire, alors que les deux extrémités (Annik et Bianca) seraient reléguées au soutien. (Enfin, c’est peut-être aussi parce que Bass et Ludger étaient les premiers à s’avancer sur scène.) Alors que le pivot s’en venait, les comédiens se sont donné leur propre twist : J-Charles, pour qui tout va maintenant mal, tue Stéphane. Comment Bass allait-il se sortir de ce pétrin pour ne pas passer le deuxième acte couché par terre?
Le pivot
Sous le genre du Mélodrame maintenant, Stéphane se voit pris entre la vie et la mort, dans la seconde où il voit sa poitrine s’effondrer, et dans ce moment, il examine sa vie, ses choix, ses attitudes. C’est une bien différente sorte de mélodrame que ce que Ludger avait rendu auparavant, mais tout de même dans la veine. J-Charles se voit attribuer l’Absurde et comprend maintenant que quand il n’est pas sur scène, il est dans le vide, un vide qui se veut une punition pour le meurtrier qu’il est devenu. Éventuellement, il utilisera le pouvoir de son « genre » pour renverser le coup de fusil qui a abattu (et continue d’abattre) Stéphane, mais il s’agit d’une seconde chance bien courte pour le personnage de Bass. Marcelle, maintenant sous le signe du Suspense, le tire dans le dos, une vengeance pour l’avoir fait subir le corridor Absurde du premier acte. Quand elle accouchera enfin, l’enfant s’appellera Stéphane et Bass lui donnera voix. Marie-Pierre (Comédie, le genre délaissé dans le premier acte) ajoute une belle couleur aux événements plutôt lourds de l’histoire principale, avouant qu’elle était sur un bad trip auparavant, et animant ses entrées de chansons pop, complètement aveugle au drame qui se passe entre les autres personnages, et organisant un baby shower malgré le cadavre au beau milieu du bureau.
Ce qu’on réalise au deuxième acte, c’est la force de l’Absurde. Même si un seul personnage y est techniquement associé, il se répand aux autres corridors. Stéphane peut revenir de la mort. Marie-Pierre peut ne pas voir ce qui est péniblement évident. Marcelle peut se souvenir de son premier acte hallucinant. C’est en fait une réaction au médium de l’improvisation lui-même. La proposition (jouer une pièce sans décors, costumes, ou texte) est absurde, et on ne peut pas véritablement s’en échapper.
Moments impromptus
Étant une liste de belles coïncidences ou de coups de théâtre qui surviennent invariablement quand on compose de façon instantanée.
-On doit le dire, Annik ne voulait pas se faire attribuer l’Absurde – c’était sa bête noire – et bien sûr, c’est elle qui allait le pogner. On sent dans son choix final que c’est elle qui essaie de s’échapper du corridor et en est incapable, encore plus que ce ne l’est Marcelle. Joueuse rationnelle, elle brise le quatrième mur en 2e acte quand elle réalise qu’il doit se passer quelque chose d’impossible, mais QU’ELLE N’A PAS LE BON CARTON DE GENRE!
-La distanciation physique était au centre de chaque mise en scène, et le thème de l’isolation s’est fait sentir, organiquement, chaque fois. Dans ce cas-ci, les époux ne peuvent pas se rejoindre et parlent dans le vide, incertains d’être entendus au bout du fil. Stéphane est le gars qui a de l’entregent et parle à tout le monde au bureau, mais ne se rend jamais vulnérable, n’est jamais VRAI avec quiconque. Marie-Pierre est présente, mais n’engage pas avec la réalité (sa peur et son sourire sont résultats du même malaise).
-Les chansons choisies par Bianca/Marie-Pierre sont astucieuses et ont souvent un lien avec ce qui se passe. « Billie Jean » se rapport à l’enfant que porte Marcelle. « My Heart Will Go On » se veut ironique quand on pense à ce que vit/meurt Stéphane. Et « Hit Me Baby One More Time » joue sur sa deuxième mort.
-Et pour tout cela, c’est vraiment Ludger qui a la chance de briller, parfaitement à l’aise dans le deux genres qu’il a tirés et en y amenant beaucoup d’humour. Dans un écho du corridor Absurde du premier acte, lui aussi est « pris », mais en lui-même, dans le même moment que Stéphane. L’un meurt et est plein de regret, l’autre devient un meurtrier et l’est aussi – une différente sorte de mort du soi.
Alors voilà, c’est sur ce jeu de genres que cette courte série de spectacles se termine. En espérant que les gens qui ont eu l’opportunité de les voir aient eu un bon temps avec nous, et si ce n’était pas possible pour vous, que ces comptes-rendus ont su intéresser. Merci donc à nos quatre comédiens, à la coordination assurée par Isabel Goguen et Improvisation NB, à l’appui financier de la Province du Nouveau-Brunswick, et à l’appui logistique du personnel du Théâtre L’Escaouette et du Théâtre Capitol, pour avoir rendu le projet (et les cauchemars des artistes!) possible.
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