Par Nicholas Berry (avec l’aimable participation de Michel Albert)
Comme il en était le sujet dans l’article de la semaine dernière, en impro, on se fait souvent dire de « sortir de sa zone de confort » et « d’explorer de nouvelles choses », mais pour un joueur qui cherche à s’améliorer, ce n’est pas leur seule option. L’autre chemin, tout aussi valide, ne vise pas à sortir de sa zone de confort, mais plutôt de l’approfondir. Au lieu d’ajouter une nouvelle pièce trop chère à notre bungalow, on creuse un sous-sol qui découvre un espace de jeu qui existe à l’intérieur du plan existant de la maison.
Dans l’article précédent, nous avons identifié les différents styles de jeu et décortiqué leurs éléments de base, mais dans l’optique d’aider le joueur à essayer un style qu’il n’a pas maîtrisé. L’objectif ici est plutôt de travailler à exploiter son propre style et ses sous-éléments à leur maximum pour perfectionner le style que l’on trouve « confortable ».
Le jeu physique
Si votre jeu est déjà physique, il n’est pas impossible de l’améliorer et le pousser plus à fond. Si vous misez déjà sur l’énergie que vos acrobaties apportent, pensez à focaliser celle-ci sur des mouvements de plus en plus précis. Le public habitué à vous voir vous garrocher sans peur, sera hypnotisé par votre soudaine attention aux détails. Vous êtes déjà fin mime? Utilisez la compréhension de votre corps pour devenir acrobate, danseur, breaker, maître du slapstick comme Chaplin, Keaton et Lloyd. Votre aptitude première en tant que joueur physique, c’est le confort avec votre corps, ses limites, et comment chaque mouvement est traduit sur scène pour créer un effet particulier pour le public.
Une fois son corps maîtrisé, le joueur physique peut aussi devenir créateur, c’est-à-dire utiliser son mouvement à travers l’espace pour créer et vivre dans un lieu précis, et transporter le public avec lui. Le jeu du joueur-créateur permet au public de complètement oublier qu’il regarde une scène vide, des jerseys, etc. pour la durée de l’impro. Son imagination est complètement engagée. Le spécialiste du jeu physique pense donc au visuel de l’improvisation – où on est dans l’espace, quelle énergie est transmise, si l’action est claire, etc.
Le jeu verbomoteur
Si votre jeu est verbomoteur, vous avez sans doute un contrôle de votre voix, un vocabulaire avancé, et/ou une facilité avec le punch. Les deux premiers peuvent s’améliorer à travers des exercices de lecture. Par exemple, en lisant à haute voix, en faisant les voix de personnages d’un roman, en donnant des intonations, un débit, etc. à la narration, on développe davantage cet outil, et notre fluidité sur scène devrait être rehaussée. En même temps, la lecture fait profiter le vocabulaire, et les mots ainsi appris (ou rafraîchis dans la mémoire) sortiront plus facilement en jeu. On peut approfondir ces capacités en lisant des choses qu’on ne lirait pas normalement pour le plaisir (on n’a pas besoin de le finir, quelques pages nous donnent l’idée). Certains joueurs lisent un peu de poésie qui rime avant un match pour débloquer la partie du cerveau qui joue les rimées.
Le joueur-poète, comme on pourrait l’appeler, représente une branche solide du style verbomoteur, mais le puncheur est l’autre. Celui qui a l’esprit facile, le tour de phrase drôle, voit l’humour dans tout. Ici on parle presque d’un talent inné, et donc plus difficile à maîtriser. Mais tout de même, avec un vocabulaire avancé et une facilité d’expression (développés ci-haut), on peut plus facilement penser à un jeu de mot, jouer avec la langue, créer une voix drôle. Le puncheur inné, lui, a beaucoup à gagner en améliorant les autres aspects – plus de matériel avec lequel jouer grâce à la vitesse qu’il a déjà.
Le jeu conceptuel
Le joueur conceptuel a une vue d’ensemble du jeu. Comme le joueur physique, il pense à l’expérience du public; comme le joueur verbomoteur, il a de fortes tendances à la construction. Les conseils vont donc s’apparenter à ceux donnés aux deux types précédents. D’une part, il doit développer le visuel de l’improvisation, mais au lieu du mime, son outil principal est la mise en scène. Il est chorégraphe. Où sommes-nous dans l’espace? Quel effet est créé? Et alors que le joueur physique est un peu solitaire, le joueur conceptuel cherche à créer un effet de groupe. Le spécialiste va donc apprendre à mieux communiquer ses idées en caucus ou même en jeu pour que l’équipe agisse comme une extension de lui-même.
Et comme le joueur verbomoteur, le joueur conceptuel doit se nourrir de médias, mais il se concentre mois sur la littérature (bien qu’elle reste nourricière). Le film, la télévision, le théâtre sont tous des médias importants pour inspirer des mises en scène, mais aussi des trames narratives. Comme metteur en scène ou réalisateur, le joueur conceptuel se doit de trouver de nouvelles façons de raconter des histoires, soit par l’ordre des scènes, par le ton et l’atmosphère, ou même par un choix de sujet inusité.
Ce genre d’approfondissement (ou étude) donne au spécialiste une meilleure compréhension de la mécanique d’une histoire – il sait intuitivement où l’histoire pourrait aller. Cette compréhension mène à une confiance, et cette confiance à une audace. Ici la culture meta entre en jeu et le joueur peut s’amuser non seulement avec le format de l’histoire, mais aussi le format de l’impro elle-même – oser jouer avec les règlements, briser le quatrième mur, etc.
Jeu empathique
Le joueur empathique utilise l’émotion pour amener l’improvisation à un autre niveau. L’être humain se connecte subconsciemment à la présentation d’émotion des autres, ce qui est aussi vrai en art de la scène. La présentation de l’émotion de façon crédible – avoir une intention – doit être travaillé cependant. Rattaché à cette habileté est la capacité de créer un personnage dans lequel le joueur disparaît. On pourrait appeler le spécialiste de l’empathie un caméléon, ce joueur qui n’est jamais lui-même et nous fait croire dans son personnage, son émotion, et donc sa situation. Il peut être utile de tenter des expressions dans le miroir pour voir comment bien communiquer un sentiment ou une attitude, puis de se poser des questions à savoir quelle voix, quelle posture, quelles réactions vont avec ce visage.
Le joueur empathique est davantage au service de la réalité, et dans le monde réel, le silence peut marquer des moments émotionnellement pertinents. Le joueur thérapeute (pour ainsi dire) respecte le silence dramatique et donne ainsi la chance au public de faire un certain travail, que ce soit de vivre une émotion avec les joueurs, ou comprendre/décider ce qui se passe au juste (car dans le silence, il peut y avoir une ambiguïté). Dans le monde réel, tout n’est pas expliqué à mesure. Le joueur empathique doit développer son confort au point où il fait confiance au public de suivre et comprendre l’action et l’émotion de la scène.
Une dernière réflexion : Les éléments-clés d’un style peuvent être utiles dans une autre. On peut élargir le spectre de notre zone de confort avec des outils connexes. Donc bien qu’on devient spécialiste dans un style, un emprunt fait à un autre ne peut qu’améliorer notre style principal. Le joueur physique qui peut nous faire vivre l’émotion avec un minimum de mouvement, par exemple, ou le joueur conceptuel qui rend bien un mode littéraire compliqué parce qu’il peut parler comme Molière écrivait.
Enfin, bien que vous pouvez choisir le chemin de la polyvalence (du premier article) ou celui de la spécialisation, vous promener un peu sur les deux est une approche parfaitement légitime.
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