Le défi de l’âge

Par Alain Degrâce

Quand tu improvises depuis plus de vingt ans, l’un des plus gros obstacles à surmonter n’est pas d’ordre physique, bien qu’après chaque match, mon corps me crie le contraire. Ce n’est pas non plus une question de perdre la fraction de seconde mentale. Habituellement, si tu ne t’éloignes pas trop longtemps de l’arène, tu ne perds pas la vitesse d’exécution qui peut manquer aux joueurs qui sont demeurés sur les lignes de côté pendant plusieurs années.

Non, le plus grand défi auquel moi et mes autres collègues plus âgés font face est l’écart culturel et social qui peut s’insérer entre des joueurs de différentes générations. C’est bien normal. Un joueur plus jeune sera plus branché à ce que la plus récente génération est en train de vivre, et nous, les plus vieux, avons un bagage plus étoffé, car nous avons eu plus de temps à le remplir, mais moins à jour.

Il y eu un temps quand je n’aurais pas eu à expliquer ce que je voulais dire si je lançais dans un caucus : « oh, faisons ça un peu à la Breaking Bad! » Bien qu’elle soit une série à succès, et relativement récente, il se peut fort bien que mon jeune coéquipier n’ait tout simplement pas entendu parler de cette émission. L’inverse est tout aussi vrai : une série très récente axée sur une démographie autre que la mienne m’aura échappé.

C’est surtout au moment de discuter du contexte qu’on veut appliquer à une improvisation que ceci peut créer des embûches. Dans l’arène, dans le feu de l’action, une perche lancée sous forme de référence que j’espère connue de mon partenaire peut tout simplement passer sous silence et personne ne s’en rendra compte.

Il en demeure que ce genre de défi peut tout aussi bien survenir au sein d’une même génération, j’en conviens. Lors de notre dernier match, j’ai entendu un joueur expliquer à un autre approximativement du même âge ce qu’était un pacemaker.

Dans des ligues où le calendrier est plus long, on peut remédier à ce genre d’écart de connaissances avec des soirées sociales. En tant qu’entraîneur universitaire, j’aimais beaucoup faire une soirée « scènes de cinéma » où je demandais à mes joueurs de partager une dizaine de scènes qui les avaient marqués. Chaque scène répondait à une catégorie particulière. Par exemple : scène d’un film obscur, scène qui m’a fait le plus rire, scène qui m’a choqué, etc. Ça permettait de commencer plusieurs échanges intéressants et de comprendre un peu mieux ce que chaque joueur pouvait apporter à l’ensemble.

À moins de jouer pendant plusieurs années avec quelqu’un, il ne sera jamais vraiment possible d’éviter ces moments où on ne cerne pas vraiment le contexte proposé par l’autre. Mais j’y trouve encore à ce jour quelque chose de fort agréable d’apprendre et de partager de nouvelles réalités.

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