Deep Cover : Une critique

Par Michel M. Albert

C’est plutôt rare de voir des improvisateurs incarnés sur grand écran, donc ça vaut la peine d’en parler, même si souvent, l’art de scène est présenté comme une activité de « loser ». C’est un peu le cas avec Deep Cover (2025, comédie accessible sur Prime), mais l’amour pour les leçons que l’impro a à enseigner est évident et donc, on pardonne.

Nos improvisateurs sont : Bryce Dallas Howard (The Village, Jurassic World) qui donne des cours d’impro en attendant qu’elle réussisse dans le monde du théâtre. Orlando Bloom (Le Seigneur des Annaux, Les Pirates des Caraïbes), un comédien obsédé par la création de personnages à travers l’impro. Et Nick Mohammed (Ted Lasso), le pauvre type pas terrible qui n’en est qu’à sa première leçon quand l’action du film a lieu. Ce trio se fait engager par un policier (Sean Bean, donc on sait que, si la tendance se maintient, ses jours sont comptés) pour prendre des trafiqueurs de cigarettes la main dans le sac. Mais à travers leurs techniques d’impro, ils se retrouvent dans quelque chose de plus gros et dangereux. Est-ce qu’ils peuvent appliquer la philosophie d’impro à ce scénario pour s’en sortir?

De prime abord, c’est un peu la même situation que celle de Keanu (2016, Key and Peele), mais version britannique (certains accents sont très épais, donc des sous-titres pourraient être de mise). Ceci dit, c’est une formule très amusante, et Deep Cover en fait bon usage. Évidemment, comme improvisateurs, le film n’a pas grand-chose à nous apprendre sur le jeu (tout comme les ateliers donnés par Howard, qui sont très basiques – j’aurais honte de donner ces thèmes-là).  Mais ça reste intéressant de voir comment on les applique aux situations criminelles, comme quoi l’impro, ça peut aider tous les domaines d’activité humaine.

Oui, et…

Un standard de l’impro anglophone, ce que nous appelons le oui-ouï-dire, est très important dans le film. Ça devient rapidement « commit to the bit » (ce avec quoi le personnage hilarant de Bloom n’a pas de difficulté), parce que soudainement briser le quatrième mur ou « refuser » pourrait se terminer en tragédie. Des improvisateurs plus expérimentés auraient compris que « Oui, et… », c’est bien beau, mais il faut aussi savoir faire usage de « Oui, mais… » et même de « Non, mais… » pour trier les mauvaises idées des bonnes.

Fais confiance à ton partenaire

Une autre clé du succès pour nos trois improvisateurs, c’est la confiance. Si on ne fait pas confiance à la personne avec qui on joue (qu’elle soit de notre équipe ou une adversaire), on ne peut pas aller bien loin. On cesse d’écouter, on commence à refuser, on tourne en rond, on marche sur place. Le but du « Oui, et… », c’est que les choses avancent. Faire confiance à notre partenaire aussi. C’est vouloir lui dire oui. C’est l’écouter et accepter ce qu’il a suggéré pour l’intégrer au monde de l’improvisation.

La grenade

Howard appelle aussi ça une « curveball », le terme que nous utilisons normalement, et je suis donc un peu méfiant de la métaphore de la grenade utilisée au lieu par les improvisateurs anglophones. Le concept en est aussi un qui fait avancer l’impro. Essentiellement, quand l’impro est rendue plate et n’avance pas, on « pitche une grenade », soit un élément perturbateur, pour la lancer dans une nouvelle direction. Je trouve l’image trop violente pour être utile, surtout chez des improvisateurs-apprenants. Il y a une grande différence entre amener quelque chose de nouveau qui fait avancer l’impro, et faire EXPLOSER (détruire) l’improvisation parce qu’on la trouvait plate. D’une part, qui sommes-nous pour décider ça? Je croyais qu’il fallait dire oui, et faire confiance à notre partenaire – un autre joueur pourrait être en train de setter up quelque chose délicatement, par exemple. Une « curveball », c’est quelque chose qu’on peut plus précisément déployer, quelque chose qui implique une surprise, oui, mais une surprise que l’autre joueur peut frapper (accepter et assumer).

Le film commence avec une citation du guide de l’impro de F.L. Adamson que l’on peut traduire à « L’impro, c’est comme aller en guerre; si tu veux tuer, tu dois être prêt à mourir », ce qui va avec la violence de gangster du film, tout comme la grenade (et oui, ça joue littéralement dans le scénario). Nous aussi on parle des expériences de tournoi comme avoir été dans les « tranchées » avec nos coéquipiers, donc on ne peut pas dire que nos métaphores sont vides de toute violence. Cependant, tout cela se prête mieux au monde du film qu’à celui de l’improvisation de scène, qui doit être fondé sur le respect et l’écoute.

Mais à vous de juger. Pour ma part, j’ai trouvé Deep Cover très amusant – Bloom en particulier – même si le « monde de l’impro » n’est surtout qu’un prétexte pour la comédie criminelle qui suit.

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